« Face à l’omniprésence de l’anglais en science, rétablissons la place du français à l’université »

À l’occasion de la Semaine mondiale de la Francophonie scientifique du 30 octobre au 3 novembre, le commissaire à la langue française du Québec Benoît Dubreuil appelle les acteurs de la francophonie à se concerter pour favoriser notre langue dans l’enseignement et la recherche.

Depuis quelques décennies, la langue anglaise a acquis une place sans commune mesure dans le monde scientifique. Dans les publications et dans les rencontres internationales, l’unilinguisme anglais est désormais la norme. Dans l’enseignement et la pédagogie, ses progrès sont incontestables. Le partage d’une langue commune procure des avantages certains à la communauté scientifique. Il facilite la circulation du savoir et des idées au-delà des frontières nationales et linguistiques.

Néanmoins, ce nouvel unilinguisme entraîne des désavantages de plus en plus connus. Il pénalise les chercheurs dont la langue première n’est pas l’anglais, défavorise la recherche sur les sujets pertinents à l’échelle locale et nationale, entrave la diffusion du savoir au sein des sociétés qui financent les systèmes de recherche et nuit à la qualité de la formation dans l’enseignement supérieur. Chez les politiques et les acteurs de la recherche, le consensus est aujourd’hui bien établi : on ne peut tirer pleinement profit d’une science qui ne se ferait qu’en anglais. Mais une question se pose : comment y remédier?

Jusqu’à récemment, la traduction était une solution limitée à l’unilinguisme en science en raison de ses coûts et de ses délais de traitement. Les récents progrès en traduction automatique viennent cependant changer la donne. Aujourd’hui, un clic suffit pour traduire un texte dans la langue de son choix. La reconnaissance et la synthèse vocales peuvent aussi traduire instantanément un discours.

L’utilisation des technologies de traduction n’est toutefois pas sans risque. Elles peuvent compromettre la confidentialité et le droit d’auteur des contenus, ou glisser des erreurs subtiles dans une traduction en apparence impeccable. Elles risquent aussi d’appauvrir la langue française en lui faisant perdre la richesse de son vocabulaire ou en ne respectant pas ses particularités. Malgré ces risques, un usage responsable de la traduction automatique est possible. C’est pourquoi je propose aux acteurs de la francophonie de déployer une action concertée pour maximiser les avantages de ces technologies pour la science et en éviter les écueils.

Du 30 octobre au 3 novembre se tient, à Québec, la Semaine mondiale de la francophonie scientifique. À cette occasion, je rends public un avis intitulé Le français, langue du savoir? Pour une approche structurée de l’usage de la traduction automatique dans le milieu de la recherche, dans lequel je présente une marche à suivre pour le Québec, la France et les autres États francophones afin de rétablir la place du français en science.

Je propose notamment d’établir un centre de coordination à l’échelle de la francophonie en vue d’accomplir différents mandats. Ce centre piloterait, notamment, la collecte et le traitement de données textuelles pour bâtir des corpus multilingues de grande qualité dans tous les domaines scientifiques. Il travaillerait à revitaliser la terminologie scientifique en français et à perfectionner les algorithmes de traduction automatique pour les adapter aux particularités du monde scientifique.

Ses actions iraient cependant au-delà du travail de traduction et de terminologie. Pour rétablir la place du français – et du multilinguisme – en science, s’exprimer d’une même voix est primordial. Le centre s’appuierait sur le mouvement de la science ouverte pour libérer les textes scientifiques de leurs droits d’auteur et favoriser leur traduction en français. Il entreprendrait des démarches auprès des grands éditeurs scientifiques pour intégrer de façon systématique la traduction à leur processus d’édition et favoriser la diffusion multilingue de la recherche sur leurs plateformes. Finalement, il élaborerait une stratégie de découvrabilité adaptée aux contenus scientifiques en français qui tirerait profit de l’intelligence artificielle et de ses progrès.

La réalisation de ce programme ambitieux exigera une collaboration entre les scientifiques, les juristes et les spécialistes de l’information. Elle devra aussi être soutenue par des actions à l’échelle locale ou nationale. En effet, rien n’empêche les universités et d’autres acteurs de la recherche d’agir dès maintenant pour promouvoir le français – ainsi que le multilinguisme – dans leur communauté. Comme je le propose dans mon avis, les universités peuvent former leur communauté à tirer profit de la traduction automatique dans l’enseignement et la recherche. Elles peuvent assurer la présence du français dans les événements scientifiques qu’elles accueillent, ou encore traduire en français leurs publications les plus importantes.

Toutes ces actions sont loin d’être anodines. À terme, elles résoudront une grande partie des problèmes d’efficacité et d’équité liés à l’unilinguisme en science et poseront les bases d’une cohabitation plus saine entre les langues.