Déclaration du commissaire à la langue française sur la fin de l’offre de cours de français dans plusieurs centres de services scolaires

Depuis le 1er juin 2023, Francisation Québec (FQ) constitue l’unique point d’accès gouvernemental des services d’apprentissage du français au Québec. Il propose plusieurs services, dont ceux aux individus. Ces services sont fournis par les organismes partenaires (organismes communautaires, cégeps et universités) du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) ainsi que par les centres de services scolaires (CSS) et les commissions scolaires (CS).

Depuis le début de l’année scolaire 2024-2025, des difficultés sont relevées à propos de l’offre de services aux individus dans le réseau scolaire. En effet, la plupart des CSS ont été touchés par des fermetures de classes, ce qui a empêché des milliers d’élèves de terminer leurs cours de français ou de poursuivre leur formation.  

Le 25 octobre 2024, deux porte-parole de l’opposition officielle nous ont demandé de mener une enquête sur ces ruptures de service. Nous avons également été interpelés par plusieurs parties prenantes préoccupées par la fin des services en francisation des adultes. Pour comprendre la situation et établir si une démarche supplémentaire était nécessaire, nous avons rencontré les responsables du MIFI et du ministère de l’Éducation (MEQ).

Retour sur les événements 

Depuis sa création en juin 2023, FQ s’est trouvé face à une demande largement supérieure à son offre de services. Dans ce contexte, il a cherché à faire croître son offre de services dans ses organismes partenaires et dans le réseau scolaire de manière à réduire les importants délais d’attente.

En conséquence, les organismes du réseau scolaire ont augmenté leur capacité d’accueil. Ainsi, du 1er juin au 30 septembre 2023, 13 591 personnes ont participé aux cours de français dans les CSS. Durant la même période en 2024, selon les données du MIFI, ce nombre était passé à 32 040 élèves, soit plus du double de l’année précédente.

La francisation des adultes dans le réseau scolaire est financée par une mesure qui est inscrite aux règles budgétaires du MEQ. Depuis l’année 2023-2024, le MIFI compense cette dépense au MEQ par le transfert d’une part de ses crédits budgétaires dans le cadre d’une entente interministérielle. En 2023-2024 et en 2024-2025, le montant transféré s’élevait à 104,4 M$.

En juillet 2024, le MEQ a rendu publiques ses règles budgétaires pour l’année 2024-2025. Dans un contexte budgétaire plus difficile que celui des années précédentes, il a décidé de ne plus autoriser les transferts entre les différentes mesures prévues à ses règles budgétaires. De plus, il a choisi de répartir l’enveloppe destinée à la francisation des adultes sur la base des effectifs déclarés pour l’année 2020-2021, soit une année où plusieurs CSS en dehors de Montréal n’offraient pas de cours de français aux adultes ou comptaient un effectif plus petit qu’aujourd’hui.

Pour la plupart des organismes du réseau scolaire, les nouvelles règles budgétaires du MEQ ont eu une incidence importante sur les sommes disponibles pour offrir des cours de français aux adultes. Cependant, la situation a été très variable d’un CSS à l’autre : certains ont diminué leur offre, alors que d’autres ont mis fin à leurs activités de francisation. Dans plusieurs organismes scolaires, la gestion de la situation a été rendue difficile parce que des ressources avaient été engagées dans les mois précédant l’annonce des règles budgétaires dans le but d’accroître le volume de formation.

Enjeux qui découlent de la situation 

La fin précoce des activités de francisation dans la plupart des CSS entraîne trois enjeux. 

Le premier est une rupture de service pour les personnes qui avaient commencé une formation, souvent après avoir attendu longtemps sur la liste d’attente de FQ. Cette situation peut engendrer des répercussions personnelles et professionnelles importantes pour les personnes immigrantes et influencer leurs parcours d’intégration.  

Le deuxième est la fin de l’offre de cours de français gouvernementaux dans les régions où les CSS étaient les seuls points de services. Cette situation, si elle perdure, pourrait compromettre la capacité de FQ à servir l’ensemble du Québec. 

Le troisième enjeu a trait aux enseignants en francisation qui verront leur contrat prendre fin ou qui seront réaffectés à d’autres tâches. Ainsi, la fin des services pourrait entraîner une perte d’expertise en francisation des adultes dans le réseau scolaire.  

Retour sur l’évaluation du déploiement de FQ

Le 29 mai 2024, nous avons publié un rapport sur la première année du déploiement de FQ. Nous y avons établi des constats qui nous permettent de mieux comprendre la situation actuelle. Plus précisément, nous y avons souligné les enjeux associés au mécanisme de formation de groupes et la difficulté pour FQ et les organismes scolaires de planifier adéquatement le déploiement de leur offre de services. En effet, FQ ne dispose pas d’une vision en temps réel de la capacité d’accueil des organismes scolaires, alors que ces derniers ignorent combien de groupes ils pourront former et à quel moment.

En réponse à ces constats, nous formulions, entre autres, les recommandations suivantes :  

  • renforcer les mécanismes de communication avec les prestataires de services dans le but de consolider leur adhésion au projet de FQ; 
  • publier une information juste et complète sur l’apprentissage du français, l’offre de services et la gestion des inscriptions, à l’intention de l’ensemble des parties prenantes, dont la clientèle; 
  • développer un modèle de prévision de la demande robuste et renforcer les mécanismes de gestion des inscriptions, de manière à favoriser la réduction des délais de traitement; 
  • prioriser, dans la poursuite du déploiement de FQ, les changements à la plateforme « Apprendre le français » qui améliorent l’expérience utilisateur et qui contribuent à accroître l’efficacité opérationnelle. 

Position du commissaire 

Les changements que le MEQ a apportés à ses règles budgétaires en juin 2024 visaient à renforcer la gestion budgétaire de la francisation ainsi que l’imputabilité des différents acteurs. Cette volonté est légitime. Néanmoins, un meilleur travail de planification en amont aurait été nécessaire entre le MIFI, le MEQ et les CSS pour assurer le déploiement d’une offre de services cohérente et éviter les ruptures de service qui ont été observées pendant l’automne 2024. 

Au cours de nos rencontres, les responsables du MIFI nous ont expliqué les efforts qu’ils déployaient pour replacer rapidement les élèves dont les cours avaient été annulés. Malgré ces efforts, nous constatons que plusieurs élèves demeurent en attente d’une nouvelle place en francisation. 

Les responsables du MIFI nous ont également fait connaître les démarches qu’ils ont entreprises pour assurer une offre de services sur l’ensemble du territoire. À ce sujet, nous constatons que des contraintes budgétaires et administratives limitent la capacité du ministère à réagir rapidement et à ouvrir des groupes dans toutes les régions du Québec. 

Dans ce contexte, nous réitérons les recommandations formulées dans notre rapport du 29 mai 2024. Plus particulièrement, nous considérons comme essentiel que le MIFI, le MEQ et les CSS établissent un mécanisme de planification et de formation des groupes qui permettra aux différents acteurs de la francisation de connaître suffisamment d’avance les cours qui seront offerts et les ressources qui seront disponibles pour les offrir. 

Par ailleurs, nous avons entrepris auprès du MIFI une démarche de suivi de ces recommandations. L’information reçue par ce suivi nous permettra de faire état des progrès réalisés.  

À court terme, nous rappelons nos préoccupations quant aux répercussions des ruptures de service sur les élèves, notamment dans les régions où il n’existe pas d’autres prestataires que les CSS. Nous soulignons l’importance de replacer rapidement les élèves dont les cours ont pris fin subitement. 

Conclusion 

À la lumière des informations que nous avons recueillies et de celles que nous avions déjà en notre possession, il ne nous semble pas nécessaire d’ouvrir une enquête auprès des organismes concernés. En effet, les difficultés vécues ces derniers mois sont étroitement liées aux enjeux que nous avons documentés dans notre rapport d’évaluation, publié en mai 2024. Le suivi que nous ferons de nos recommandations nous permettra de faire état des progrès réalisés. 

Par ailleurs, les difficultés rencontrées dans le déploiement de l’offre de cours de français gouvernementaux sont étroitement liées au déséquilibre qui persiste entre l’offre de services en francisation et la demande pour ces services. Ce déséquilibre découle de l’accroissement important du nombre de travailleurs étrangers temporaires au cours des dernières années. 

Dans cet esprit, les consultations sur la planification pluriannuelle de l’immigration, annoncées pour le printemps 2025, devraient être l’occasion d’une réflexion sur la manière de rétablir durablement l’équilibre entre le nombre de personnes qui souhaitent suivre des cours de français gouvernementaux et la capacité de FQ à répondre à leur demande.